Pourquoi est-il si difficile d’aller vite dans l’eau ? Les avions ont passé le mur du son il y a 60 ans, mais la plupart des bateaux, du contre-torpilleur Le Terrible (45 noeuds en 1935 , le record tient toujours!) à la planche à voile (48.7 noeuds en 2005) n’arrivent pas à franchir 90 km/h. Et sous l’eau, les sous-marins nucléaires modernes plafonnent à 35 noeuds (66 km/h) , leur vitesse de croisière étant plutôt de 20 noeuds (37 km/h).
Le record de vitesse absolu sur l’eau est de 317 noeuds (587 km/h!) , mais « Spirit of Australia » est propulsé par un réacteur d’avion et n’a aucune pièce dans l’eau: il glisse à la surface. Avec simplement une hélice dans l’eau, le record est « seulement » de la moitié : 322 km/h
Pour expliquer la difficulté d’aller vite dans l’eau, j’ai dessiné un profil de foil « pédagogique* » avec SolidWorks et simulé un écoulement d’air et d’eau autour du profil avec FloWorks, le tout en 1h seulement.
fig1 : écoulement d’air à 10m/s (~20 noeuds)
Dans de l’air [fig 1], la différence de pression entre l’extrados et l’intrados est de l’ordre de 40 millibars, alors que dans de l’eau [fig 2] elle avoisine 4 bars à la même vitesse. Donc la portance du foil sera approximativement 100x plus forte dans l’eau que dans l’air à la même vitesse. Pour la même raison, un hydrofoil peut avoir une surface 100x plus petite qu’une aile pour créer la même force à la même vitesse.
fig 2 : écoulement d’eau à 10 m/s (~20 noeuds, 36 km/h)
Le passage à une vitesse de 50 noeuds ne fait que multiplier les faibles effets aérodynamiques par 2.5^2 = 6.25 environ, alors que dans l’eau un phénomène surprenant apparait [fig 3]:
fig 3: écoulement d’eau à 25 m/s (~50 noeuds, 92 km/h)
- Une onde de choc modifie complètement l’écoulement autour du foil.
- de ce fait, n’y a plus de différence de pression notable sur les 2 faces du foil, donc plus de portance !
- Enfin, la densité de l’eau derrière l’onde de choc est très basse. Trop basse pour de l’eau liquide, qui est incompressible : toute la zone en bleu foncé sur la [fig 3] est constituée à 75% de bulles de vapeur qui se forment dans la dépression créé par l’onde de choc.
Ce phénomène s’appelle la cavitation, et il équivaut au mur du son de l’aviation. Il apparait en réalité dès 15 noeuds environ et doit absolument être pris autant au sérieux pour la construction d’un bateau rapide que le mur du son pour un avion de chasse, car, comme nous le verrons dans un prochain article il peut se révéler tout aussi destructeur .
*Note : Le profil n’est pas optimisé ni même bon, il a été dessiné « à main levée » dans un but pédagogique uniquement. Le travail scientifique suivra plus tard…
Permettez moi de douter des résultats des simulations numériques, notamment l’écoulement à 25 m/s qui fait penser à une divergence du calcul. En effet si la pression représentée par le contour et l’échelle sur la gauche est la pression absolue, on est loin (47 000Pa) de la pression de vapeur saturante (sauf si l’eau est à 80°C). De plus si le domaine représenté est le domaine de calcul il parait difficile d’obtenir des résultats probants, à moins d’utiliser des conditions aux limites extrèmement bien adaptées. De plus la cavitation est un phénomène totalement indépendant de la vitesse du son (qui dans l’eau est d’environ 1400m/s~2800noeuds), la présence d’une onde de choc est donc plus que surprenante. Quand au logiciel FloWorks, le lien suivant http://www.solidworks.com/pages/products/cosmos/cosmosfloworks/cfwfeatures.html?pid=45 ne fait pas mention de la possibilité de traiter des problèmes de cavitation (ni d’ailleurs de changement de phase).
Je reconnais volontiers que la simulation de cavitation a été vite faite, donc mal faite. En particulier au niveau des conditions aux limites, on voit effectivement qu’il se passe des choses anormales en haut et en bas du domaine de calcul. Je la refais dès que j’ai le temps et les outils. Cependant:
Dans l’eau, la vitesse du son est très élevée, mais dans la mousse de bulles de cavitation, c’est très différent. Dans cet article plus spécifique à la cavitation j’avais mentionné:
Mur du son ! Dans un précédent article (celui-ci..) , un parallèle a été fait entre le mur du son et la cavitation, ce qui peut sembler un peu audacieux. Cette idée est cependant renforcée dans cette page qui indique que la vitesse du son dans de l’eau contenant entre 10% et 90% de gaz est de 25 m/s environ, soit … 50 noeuds!
Moi aussi je « savais » que la cavitation n’avais rien à voir avec la vitesse du son jusqu’au moment de lire la page de Supramar, mais la coïncidence est troublante, non ?
Concernant FloWorks, c’est tout ce que j’avais sous la main, mais je le connais bien. Il ne gère effectivement pas les transitions de phase, mais depuis la version 2007 il détermine les zones ou la cavitation peut survenir (voir ici par exemple), et c’est cette zone qui est affichée en bleu dans la figure. Pour savoir si elle survient effectivement ou pas, il faut simuler les petites bulles. C’est un travail de recherche que je fais volontiers si je suis payé pour 😉
Bonjour,
Vous dites qu’il y a un mur à 50 noeuds (92km/h) !!
Comment expliquez vous qu’il y a des poissons qui dépasse cette vitesse.
L’espadon fait 109km/h, le poisson voilier fait du 110km/h ( 59 noeuds).
…
Ça me fais penser qu’en simulations… c’est inconcevable qu’un bourdon puisse voler. Peut-être que les modèles se sont amilioré. Mais en pratique, il vole!
Wow! des poissons à près de 60 noeuds ! Fantastique, merci de l’info.
Savez-vous sur quelle distance ils atteignent ces vitesses ?
Ce n’est pas parce qu’il y a un mur (de bulles…) qu’on ne peut pas le franchir. Après avoir été les premiers à franchir le mur du son, nos amis militaires font aujourd’hui des torpilles qui se déplacent à 400 km/h ! Simplement, elles ont été étudiées pour, et sont très différentes des torpilles classiques.
Ce serait très intéressant de pouvoir visualiser les écoulements autour d’un espadon qui se déplace à 50 noeuds. Je suis prêt à parier qu’il cavite à certains endroits, ce qui peut d’ailleurs l’aider (comme la torpille) puisque la cavitation réduit le frottement. Le problème principal serait la cavitation autour de la nageoire caudale, qui empêcherait sa fonction de propulsion, là ça serait très intéressant d’étudier comment l’espadon l’évite, car c’est bien là le problème des bateaux, et des voiliers en particulier : si un foil, une dérive ou un safran se retrouve dans une bulle de cavitation, il ne remplit plus son rôle.
Je n’irai pas jusqu’à oser prétendre que le rostre de l’espadon joue un rôle à ces vitesses, mais puisque apparemment on ne sait pas trop à quoi il sert et qu’un bord d’attaque pointu est typique des profils supercavitants, peut-être que ce serait une piste à étudier…
D’autant que, puisque vous me mettez sur la piste, c’est en étudiant le vol du bourdon de très près qu’on a compris comment il volait. A son échelle, la viscosité de l’air est importante, et en fait les insectes « rament » dans l’air en tirant parti des tourbillons créés par leur propre battement d’ailes, ce qui est très différent du vol des oiseaux et avions, effectivement.
En effet la vitesse du son dans un milieu mélange d’eau et de vapeur d’eau est beaucoup plus faible que dans de l’eau, mais dans le cas de la cavitation autour d’un profil l’apparition d’une onde de choc telle qu’évoquée est peu probable (le cas des crevettes qui utilisent la cavitation est très différents, l’onde de choc provient de la condensation de la vapeur d’eau, et cette onde se propage dans l’eau liquide, c’est d’ailleurs ce qui permet « d’assommer » ses proies car le son se propage très bien et très vite dans l’eau liquide. Dans le cas d’un profil avec une poche de cavitation, cette « onde de choc » se situe juste après la poche de vapeur d’eau, le parrallèle entre un profil supercavitant et une aile supersonique est donc limité.
Bonjour,
le nouveau record toute categorie feminin WSSRC est desormais detenu par Sjoukje Bredemkamp (Af du sud) avec 42,35 kts / 500m (luderitz-Namibie)
en vous remerciant pour votre site si complet.
Manu Taub
PS: a ce jour en kite nous avons des vitesses de pointes à plus de 54 kts, ex : derniere perf GPS, à 53,5kts top speed/51,6 sur 250m/ 49,7 sur 500.
cela reste du GPS mais ce sont des indications interessantes qui demontre le potentiel du kite de vitesse.a noter qu’à ces vitesses nous n’avons pas remarqué encore de limite technique contraignante,typre cavutation etc… nous naviguons dans tres peu d’eau et avec peu d’ailerons, notre accroche de faisant grace à l’opposition de l’aile etessentiellement sur l’arrierre de la planche qui est tres etroite…
top 5 WSSRC :
1/Finian Meynard 48,7 windsurf-Canal 2004
2/Alex Caizergues 47,92 kitesurf-Luderitz 2007
3/Antoine Albeau 47,69 windsurf-Canal 2007
4/Manu Taub 46,98 kitesurf-Luderitz 2007
5/Sebastien Cattelan 46,71 kitesurf-Luderitz 2007
Concernant la cavitation. La cavitation ou super cavitation est utilisée pour permettre à un objet de se déplacer à haute vitesse sous l’eau. Les Russes ont beaucoup travaillé en ce sens pour mettre en place des torpilles qui, selon eux, atteindrait les 350km/h. Il faut manier cette information avec prudence même si de nombreuses sources confirment son existence.
Juste aurel. Je parle des torpilles à supercavitation dans https://foils.wordpress.com/2008/01/04/supercavitation-militaire/
Monsieur, je suis intéressé par la notion de vitesse du son dans l’eau à 25m/s avec 10% de gaz. Dans une artère la vitesse d’onde de propagation est d’environ 10 m/s. Pensez-vous que la fermeture rapide des valvules sigmoïdes ( 9 m/s par ex) puisse engendrer une onde de choc (Cavitation) ? Dr Richard Venet
Cher Dr. Venet,
merci pour votre commentaire, très intéressant dans la mesure où il illustre le fait que la vitesse du son dans un fluide réel (avec gaz dissous, bulles, voire cellules vivantes… ) peut être très inférieure à ce que l’on connait dans un liquide pur.
Cependant, j’avais de la peine à croire que les valvules sigmoïdes puissent atteindre une vitesse pareille, donc j’ai fait un petit calcul de mécanique simple : en considérant que la valvule se ferme de 10 mm en .025 s sous accélération uniforme, je n’arrive qu’à une vitesse de l’ordre de 0.9 m/s et sur cette base j’ai de la peine à croire que la cavitation puisse apparaitre.
En cherchant plus d’infos je suis tombé sur cette référence qui mentionne effectivement des problèmes de cavitation sur des valves cardiaques mécaniques…
Si vous aviez plus d’informations sur ce sujet, notamment la durée de la fermeture des valvules, je serais heureux de creuser un peu ce sujet.
… C’est peut-être un peu tard pour répondre mais une petite précision (au deumerant éventuellement inexacte) ne venant jamais trop tard:
Comme Dr Goulu je ne pense pas que des phénomènes de cavitation puissent apparaitre dans la circulation sanguine. Indépendemment de l’hypothèse d’un lien entre vitesse du son et cavitation, je voulais souligner que la vitesse de propagation de 10m/s dans les artères n’est pas une propagation sonore, il s’agit d’une onde de choc de masse (en gros, l’équivalent d’une vague). C’est la vitesse de propagation de la « vague » créée par exemple par un battement cardiaque. Cette vitesse dépend, bien sûr, des propriétés du fluide mais aussi de la rigidité de la « conduite », donc de la veine/artère dans notre cas.
Cela dit, le sang étant un fluide tres particulier, la vitesse de propagation du son dans le sang peut éventuellement être faible. Mais à mon avis (discutable!), avec une vitesse du son de 1400m/s dans l’eau, je ne pense pas que le son dans le sang (liquide, même avec gaz dissous) puisse baisser d’un facteur 100.
Mais c’est intéressant de se poser ces questions, parler de coeur sur un blog dédié aux foils est un bel exemple de croisement des disciplines!
Au sujet de la différence de portance :
Je pense qu’il y a une erreur dans l’article quand vous parlez d’une différence de pression de 40 bars entre extrado et intrado, car :
– On nous rabache les oreilles avec le fait que l’aile est ‘à 2/3 aspirée par l’extrado contre 1/3 porté par l’intrado’. Or vu que l’atmosphère est à 1 bar, on ne peut pas dépasser une portance de 1 bar due à l’extrado, soit 1.5 bar avec l’intrado
– A vu de nez , les parapentes font 30 m² pour 100 kg de poids total, en volant autour de 50 km/h : ça fait une pression moyenne de 0.00034 bars : évidemment la pression n’est pas répartie équitablement sur l’aile, et elle augmente si on vol à plus de 50 km/h, mais l’idée est là
oui, vous avez raison je me suis planté : ce sont des millibars et pas des bars (l’échelle des graphes est en pascals), désolé, je corrige…
sous une faible profondeur d’eau, la dépression sur l’extrados crée une déformation de la surface de l’eau. lorsque l’air de la surface atteint le foil, c’est la « ventilation » (voir https://foils.wordpress.com/2007/03/31/la-ventilation/)
bonjour
est ce que la réalisation d’un état de surface « parfait » limite la création de bulles d’air ou en tout cas retard la processus
c’est peut être une piste. je travaille sur des films calendrés qui pourrait éventuellement etre collés pour éviter des « micro rugosités »
Bonjour!
Désolé pour votre théorie mais le record du monde en kitesurf est de 54.10 noeuds où si vous préférez 100.19 kmh enregistré en octobre 2010 par Alexandre Calzergues en Namibie.
En fait, le record est même de 55,65 nds (Rob Douglas, Oct 2010).
Mais les kitesurfeurs ne se servent pas d’ailerons classiques (avec écoulement d’eau sur lesdeux faces, comme discuté dans cet article). Au contrair, ils utilsent leur planche, inclinée, comme un foil supercavitant : la face du dessous en surpression, et pas d’écoulement d’eau sur la face supérieure.
A mon sens, les kiteux ne mettent donc pas à mal cette théorie.
Par contre, l’Hydroptère, ainsi que Macquarie, ont très légérement dépassé les 50nds de moyenne, ,avec pour l’Hydroptère des Vmax ponctuelless de plus de 55nds.
La théorie ne serait donc fausse que de 10%, le mur des 50nds pouvant être repoussé à 55nds, mais au prix d’un très gros travail sur les foils qui deviennent très peu tolérants.
Merci Xavier 😉
@Martin : je ne me souviens pas avoir dit que le mur des 50 noeuds était infranchissable, j’ai au contraire montré son analogie avec le mur du son, qui n’a été franchi que par des avions assez différents.
L’article commence par « Pourquoi est-il si difficile d’aller vite DANS l’eau ». Les kites contournent le problème en allant vite SUR l’eau, tant mieux pour eux, mais le problème reste entier pour des embarcations assez lourdes pour emmener des passagers (moi…) .
Comme on le voit sur le graphique de la page records , les progrès s’effectuent par paliers et même si les kites ont progressé des façon spectaculaire, la « pente » de leur progrès est comparable à celle d’autres engins, et atteindra (a atteint?) probablement aussi un palier. Pour les 60 noeuds et plus, je continue à parier sur les supercavitants.
Bien qu’il y ait eu des avions à hélices ayant passé le mur du son…http://prototypes.free.fr/a2d1/a2d1-9.htm
Certaines sources indiquent un record non officiel à Mach 1.18
Mais là aussi, les profils des hélices devaient être un peu spéciaux!
comme à chaque fois que je cherche une info sur les foils je commence par l’excellent foilers! et au passage je me permet une petite correction:
« Dans de l’air [fig 1], la différence de pression entre l’extrados et l’intrados est de l’ordre de 40 millibars, alors que dans de l’eau [fig 2] elle avoisine 4 bars à la même vitesse »
je pense que dans l’eau, 4 bars de différence c’est impossible pour des incidences raisonnables: la depression ne peut pas dépasser 1 bar absolu (la dépression avec l’extrados complètement en cavitation ~0bar absolu, en tout cas proche de la surface~1bar absolu) , car il me semble que la depression/extrados est toujours plus importante que la surpression/intrados, et donc cette dernière est <1bar (dans des conditions normales, après avec une incidence très importante on peut toujours créer une grosse pression dynamique, mais ne chipotons pas!). enfin bref la différence de pression max doit être autour de 1 bar quand ça commence à caviter, en tout cas inférieure à 2 bars tant que surpression/intra < depression/extra.
à la prochaine! en ce moment ça cogite beaucoup sur kitefoil, je risque de repasser bientôt!
PS: je viens de réaliser que ma petite remarque sur "proche de la surface" souligne un point intéressant: un foil qui caviterai à une grande profondeur pourrait avoir une depression (donc une portance!) d'autant plus forte que la pression environnante est forte (par contre je suppose que la cavitation arrive plus tard à forte pression). aucune application pratique puisque les foil sont proches de la surface, mais c'est rigolo à cogiter!
ça cavite plus quand on est proche de la surface qu’en profondeur. Plus de pression = moins de cavitation (toute chose blabla …)