Triste fin …

J’ai toujours aimé me balader sur les ports, c’est une invitation aux voyages : les cargos aux noms souvent étonnants et aux ports d’attache divers, les odeurs, l’atmosphère…(sortez les mouchoirs).  Un beau jour d’août 2006, qu’elle n’a pas été ma surprise lors d’une de ses balades sur le slipway du port de Lorient, de tomber nez à nez avec un hydrofoil à moteur. Bien entendu, je suis moins « moteur » que « voile », mais je reconnais la bête, un engin d’origine soviétique. Le lendemain je reviens avec mon appareil photo et je m’interroge sur sa présence dans un port de l’atlantique ou la mer n’est pas vraiment adaptée à ce type d’engin qui dispose de foils de première génération (foils en V). La lecture d’un grand quotidien régionale, spécialisé grand ouest, va m’en apprendre un peu plus sur l’animal.

Delfin en vol – photo site IHS annonce de vente 2003

L’escale Lorientaise

Le Dolfin est arrivé en 2006 dans le port Breton pour être réparer avant d’être théoriquement exploité par une société Corse : l’Union Méditerranéenne de Navigation. Lors de l’achat du Dolfin, l’UMN a dans l’idée d’ouvrir une liaison rapide entre Madhia et Hammamet. Projet qu’elle a peut être abandonné suite aux différentes mésaventures arrivées au bateau durant son transfert. En mer du Nord, en raison d’une vitesse excessive par rapport à l’état de la mer, il perd ses survies. A Dunkerque, dans le sas du port, il abîme ses foils. Il s’arrête ensuite à St Nazaire pour une avarie de la pompe de refroidissement du groupe électrogène. En repartant, il démarre avec de l’eau dans un cylindre…  C’est donc pour une complète remise en état qu’il est rapatrié à Lorient pour y subir des travaux de chaudronnerie, de peinture et bien évidement de mécanique. Malheureusement UMN fait faillite et laisse une belle ardoise de 152 000 € aux entreprises Bretonnes. Intéressé par cet hydrofoil prêt à naviguer, une société Russe essaye de racheter le bateau pour qu’il soit exploité sur le Delta du Gange. Mais le prix proposé est sans rapport avec la valeur du bateau et aux sommes dues aux entreprises du bassin Lorientais, la vente n’a donc pas été conclue.

Delfin à Lorient –photo FM août 2006

Le bateau

Hydrofoil de type Kolkhida, conçu pour le transport de passagers et accessoirement de soldats de l’Armé rouge dans les eaux intérieures de l’ex URSS ou sur les lacs et fleuves.

Quelques chiffres

  • Date de construction : 1987
  • Lieu de construction : Poti, Géorgie
  • Matériaux, coque et superstructures : aluminium
  • Matériaux foils : inox
  • Longueur : 34.5 m
  • Largeur : 10.3 m
  • Tirant d’air en vol : 10.8 m
  • Tirant d’air au repos : 8.9 m
  • Tirant d’eau en vol : 1.9 m
  • Tirant d’eau au repos : 3.5 m
  • Vitesse max. : 35 nœuds
  • Capacité : 124 personnes
  • Equipage : 6 personnes
  • Motorisation : 2 moteurs de 1500 cv à 12 cylindres en V
  • Zone de navigation : 50 miles d’un refuge, capacité 200 miles.
  • Conditions maximale de navigation : mer équivalente à F3, vagues de 2 m pour navire décollé et 3 m navire au repos. Vent F5
  • Déplacement : 72 tonnes

Les enchères

Pour récupérer un peu d’argent afin de payer les entreprises flouées (STLIM, Ateliers Normand…),  dés 2007, le tribunal de grande instance de Lorient organise des enchères publiques avec une mise en vente du bateau à 100 000 €, mais sans succès ! Le 28 mai 2009, une nouvelle vente est organisée. Le Dolfin est mis à prix pour la modique somme de 20 000 € .  Et c’est à ce prix que Lionel Audouys remporte l’affaire. Monsieur Audouys est le seul acheteur présent ou presque ! Presque, car un avocat missionné par un acheteur Russe était aussi sur les lieux mais il ne peux pas se porter acquéreur du navire, le moyen de paiement de cet acheteur étant du « cash ». Bizarrement, le chèque de banque est préféré à la mallette de billets ! Déçus de ne pas avoir réussi à acheter le Dolfin, plusieurs acquéreurs d’origine Russe contactent Lionel Audouys plusieurs fois par jour. Ils vont jusqu’à proposer 100 000 € et le même type de bateau (sûrement en moins bon état) ! C’est vrai que le bateau réparé et modifié à Keroman en 2006 vaut au minimum 400 000 €, puisque sur un site Internet, un bateau de ce type est mis en vente pour ce prix (et il est peut être en moins bon état) !

Foil avant – photo FM août 2006

Le projet de Lionel Audouys

Déjà propriétaire d’un bateau de promenade, le Jaman IV capable d’embarquer 58 personnes et mouillé en bas des remparts de Dinan, Lionel Audouys, a eu coup de foudre pour le Dolfin. Il souhaite alors transformer ce bateau, en restaurant – salle de cinéma avec bar terrasse sur le toit. Le Dolfin devant être amarré au côté du Jaman à Dinan pour ne plus jamais naviguer, le démontage des moteurs et des hélices ainsi que le découpage des foils est prévus dans un chantier de Saint Malo …

Profil foil avant – photo FM août 2006

Le blocage

Le projet de Lionel Audouys n’est malheureusement pas du goût de tout le monde et surtout pas du conseillé général de Dinan Est, Michel Vaspart, qui n’imagine pas que l’esthétique du Delfin puisse se marier avec celle des façades des maisons à colombages de Dinan… Le maire de Dinan, monsieur René Benoît émet lui aussi des doutes sur le bien fondé de ce projet. Dépité, Lionel Audouys ne souhaite pas se battre contre ses détracteurs et abandonne son projet. J’ai contacté la Mairie de Dinan ainsi que le conseil général, mais je n’ai eu aucune réponse à mes interrogations…

Epilogue

Sûrement persuadé que le Delfin était « invendable », ou alors sous peine de devoir accepter de l’argent d’origines douteuses (avec en prime de possibles complications), Lionel Audouys décide de détruire le Delfin. Destruction réalisée après avoir récupéré du matériel, l’électronique et les moteurs. L’aluminium provenant de la coque et des superstructures devait, à lui seul, être revendu environ 9000 €. Ces différents éléments doivent théoriquement permettre de récupérer la somme investie (environ 30 000 €). Les superstructures sont détruire à la pelleteuse et la coque aux chalumeaux… Après cet épilogue malheureux, Lionel Audouys souhaite acquérir une péniche, qui sera sûrement plus proche des canons de beauté appréciés par les autorités locales. Cette péniche doitt ensuite être modifiée afin de réaliser le même projet que celui prévu au départ à partir du Delfin : un bateau restaurant.

Lionel Audouys et son fils Jonathan lors de la destruction du Dolfin – Ouest France 23/07/09 DR

5 ans après nouvel article sur Foilers, « De Stettin à St Nazaire à bord d’un Kolkhida« , l’histoire du transfert de ce bateau de la Pologne en France…

Historique

  • 1987 construction à Poti en Géorgie
  • 1998 achat par une société Russe
  • 2001 modification des silencieux pour naviguer dans le port de Nexo (Danemark)
  • 2003 révision des moteurs et mise en vente en Pologne
  • 2004 rachat par l’UMN
  • 2006 arrivée à Lorient pour une remise en état (juin)
  • 2006 faillite de l’UMN
  • 2007 première vente aux enchères
  • 2009 vente à Lionel Audouys (mai) puis destruction (juillet)

Pour en savoir plus sur ce type d’engins

Sources

14 réflexions sur « Triste fin … »

  1. Bonjour Fred,

    Merci pour cet article. Les « vies » des bateaux se révèlent souvent être de véritables aventures romantiques. (le bateau de J. Brel, le « phocéa » … j’arrête le HS)

    Pour enjoliver encore l’histoire de ce foiler, pourquoi ne parles-tu pas de la « légende » qui laissait entendre que les russes avaient caché un trésor dans les cales ?
    Cette légende pour expliquer leur volonté farouche de le racheter.
    Bon dimanche et à plus,

    GG

  2. GG,

    C’est vrai, j’ai aussi lu un article sur cette légende, mais je pense que le trésor aurait été trouvé lors de la démolition… A moins que…

    Fred de Lo
    En direct de Toulouse !

  3. Ton article me rapelle de bons souvenirs …. quand nous étions en famille sur la jetée d’Ostende à regarder passer la Malle et … l’hydroptère Boeing vers Douvres ….

    Hydroptère qui « déjaugeait » avant la sortie du port, juste devant nous !

    Suite donc à ton article … je me suis en recherche d’article sur cette époque (révolue … merci Eurotunnel !) mais n’ai pas trouvé grand chose .. si ce n’est cet article http://cat.inist.fr/?aModele=afficheN&cpsidt=6619840

    Je cherche toujours ….. 😉

  4. Merci fred. Merci pour toutes ces histoires de vaisseaux. Comme le dit gérard les navires ont leur vie et c’est parfois un véritable romant. Même s’il sagit d’un foiler, en lisant cet article, j’ai comme une vieille chanson de marin qui me revient…
    A la votre! Et le diable ira régler notre sort…

  5. Hola,
    J’avoue qu’il manque une sorte de conclusion à cet article.
    Il me reste comme un goût d’inachevé.
    Peut être par ce que la fin de ce bateau ne me semble pas « logique ».
    On a plus l’habitude des happy end (bateau récupéré, remis en état), ou de bateaux qui restent pourrir, mais pas d’une remise en état puis d’une destruction…
    Drôle d’enchainement, drôle de vie pour un bateau.
    Un bateau c’est du boulot de conception, de construction… sortez vos mouchoirs.
    Mais bon, peut être qu’il vaut mieux s’apitoyer sur le sort d’être humains que de canot… (tiens « v’la » l’autre qui essaye de passer pour un penseur !).
    Fred de Lo (de Barcelona, magie de la technique)

  6. bonjour,
    C’est le dernier jour de l’année et j’avais promis de mettre une vidéo du proto de mon nouveau bateau sur un site.
    L’adresse :

    Bonnes fêtes de fin d’année à tous.
    Maurice

  7. Bonne année à tous les lecteurs.
    Et si je dois faire un voeux, c’est que certains lecteurs deviennent des auteurs !
    Bonne année 2010 à tous.
    Fred de Lo

  8. Bravo et merci maurice. En allant voir tes autres vidéo j’ai vu cette petite balle qui rebondi sur l’eau, c’est génial, c’est quoi?

    1. Bonjour Chris,

      Oui, je « connais » ce bateau qui est un peu différent puisque faisant partie de la série « Kometa ».
      Le Delfin était un Kolkhida.
      Merci pour ces liens.
      Esthétique Russe mais beaux engins…

      Fred

    2. Oui le Kometta, j’habitais au Conquet et j’ai eu l’occasion de le voir, de le prendre et de le trouver beau 🙂

  9. Bonjour. Je suis tombé par hasard sur ce site. Je suis le capitaine qui a amené Delfin1 de Stettin à Saint-Nazaire. L’histoire racontée mérite quelques petites modifications. En particulier concernant l’état du bateau quand il a été acheté !

Répondre à Fred de Lo Annuler la réponse.