Windsurf : ailerons et spinout

Suite à quelques commentaires récents au sujet des ailerons de windsurf ici, voici un petit article sur l’importance de ce petit foil vertical.

Rôle et conception

l’aileron (« fin » en anglais) crée par effet hydrodynamique la force qui s’oppose à la dérive due à la composante de la portance de la voile perpendiculaire à la trajectoire.


forces sur une planche à voile, tiré de [2], forces en livres (lbs)

Pour une planche bien équilibrée, la position optimale du planchiste et de sa voile implique une force latérale sur l’aileron d’environ le tiers du poids total, soit environ 50 kg au maximum.

Les ailerons de windsurf ont un profil symétrique permettant de les utiliser sur les deux bords. La force latérale est créée par un « angle d’attaque » entre la direction d’écoulement de l’eau et l’axe de la planche : le nez de la planche pointe dans une direction légèrement plus au vent que le cap suivi. L’angle d’attaque dépend du profil, mais surtout de la surface de l’aileron : plus l’aileron est grand, plus l’angle d’attaque nécessaire à créer la force latérale est faible.

Le « spinout »

la FAQ de windsurf.rec (en anglais) décrit un phénomène qui surprend parfois les planchistes dans des conditions extrêmes: le « spinout ». Il se manifeste comme un lof brusque, glissade de l’arrière de la planche comme si l’aileron s’était cassé brutalement.

3 causes distinctes ou combinées peuvent provoquer la perte d’efficacité de l’aileron:

  1. le décrochage, du à une angle d’incidence trop élevé : l’écoulement de l’eau devient alors turbulent autour de l’aileron
  2. la ventilation, due à la présence d’air sous la planche ou de bulles dans l’eau, notamment en réception de saut où l’angle d’incidence peut simultanément être momentanément élevé. L’aileron se trouve alors dans un mélange eau-air turbulent et peu dense.
  3. la cavitation, souvent invoquée par ces frimeurs de planchistes sur les blogs ;-). Comme elle ne peut se produire que vers 40-45 noeuds, seuls les chasseurs de records ont peut-être « réussi » à créer une bulle de vide autour de leur aileron…

Remèdes

  1. en cas de décrochage (= spinout à basse vitesse), les conseils [4], [5] sont :
    1. réduire la pression sur le pied arrière, voire le tirer à soi en soulevant rapidement la planche par le strap. Ceci réduit instantanément l’angle d’attaque. et rétablit l’écoulement laminaire.
    2. réduire la surface de voilure. Finian Maynard a réalisé son record avec une voile de 5m², soit la moitié des 10m² permis par la classe !
    3. augmenter la taille de l’aileron. Maynard en avait un de 28 cm [3]
  2. pour éviter la ventilation, il faut maintenir la planche en contact avec l’eau, donc absorber les vagues avec les jambes plutôt que de sauter à tout va. Il existe apparemment aussi des jupes anti-ventilation censées empêcher l’air de se glisser sous la planche, mais je n’ai pas trouvé d’information concrète à ce sujet
  3. atteindre plus de 50 noeuds en windsurf exige des ailerons spécifiques car la cavitation est inévitable à ces vitesses. Quelques pistes:
    1. usiner les ailerons plutôt que les mouler, pour une meilleure précision du profil [7]
    2. concevoir des ailerons à profil asymétrique, utilisables sur un seul bord mais à angle d’attaque proche de 0°
    3. utiliser des profils supercavitants

Références:

    1. The Drake Chronicles Page : Physics of Windsurfing sur star-board.com
    2. Jim Drake « An Introduction to the Physics of Windsurfing« , 2005
    3. A. Kunoth, M. Schlichtenmayer, C. Schneider « Speed Windsurfing: Modeling and Numerics « , 2006, Int. J. of Numerical Analysis and Modeling, Computing and Information, Volume 4, Number 3-4, Pages 548–558
    4. discussion sur plusieurs thèmes dont le spinout sur le forum de Starboard.
    5. FAQ de windsurf.rec (en anglais)
    6. interviews de Ian Fox et Martin Van meurs sur windsurf.me.uk
    7. Airfoil Designs Help Improve Sailboard Performance, Gerhard Opel, Tectonics, Maui

      11 réflexions sur « Windsurf : ailerons et spinout »

      1. Concernant le spinout, à mon avis un autre critère prépondérant est la verticalité de l’aileron. La ‘contregite’ normale d’une planche favorise l’introduction de l’air sur le quart sous le vent. Et cet air finit par être aspiré sur l’extrados de l’aileron d’ou ventilation. Plus on peut naviguer à plat, plus on retarde le spinout.
        Pour aller vraiment vite, je ne suis pas persuadé qu’un profil supercavitant nous permette d’atteindre les vitesses espérées. Si cela était le cas, nous pourrions déjà naviguer avec des ailerons ‘coupés à la hache’ à des vitesses entre 20 et 30 noeuds. Il faudrait arriver à propulser une planche au delà de 40 noeuds afin qu’un régime supercavitant stationnaire puisse s’établir.

      2. Je tiens tout juste sur une planche, et encore, quand il n’y a pas de vagues, donc je dis peut-être des bêtises ci dessous… :

        Je ne suis pas sur que la contregite de la planche soit « normale ». Elle n’est pas prise en compte dans les modélisations trouvées dans les références en tout cas, où l’on considère que toute la force de dérive est reprise par l’aileron. Personnellement, j’avais effectivement tendance à penser que la forme de la planche reprenait un peu de force latérale, mais on m’a fait remarquer qu’à ces vitesses seul l’arrière de la planche touche encore l’eau…

        Pour le profil :sur les engins à force humaine il y a souvent 2 étages de foils, un pour le décollage, un autre pour la vitesse. A mon avis il faut une approche similaire pour passer en supercavitation. J’ai une petite idée pour l’Hydroptère (…). Pour la planche j’en ai d’autres : 2 ailerons, le subcavitant rétractable à haute vitesse, ou un aileron supercavitant enrobé d’un profil subcavitant amovible, ou le subcavitant juste derrière le super, dans sa bulle de cavitation, bref, plein d’idées jetables à tester .

      3. Sur la vidéo du record de Finian Maynard on comprend pourquoi 117 kg sont nécessaires pour faire coller la planche (ou plutot les quelques cm²) à l’eau. Toute la force anti-dérive est bien sur l’aileron; un aileron moins profond et il ne tient plus le cap, un aileron plus profond et le couple de renversement deviendrait prépondérant. Ce choix d’aileron est vraiment essentiel.
        J’ai un peu travaillé sur des engins à propulsion humaine équipés de foils; la principale leçon que j’en tire est que la simplicité est souvent un gage d’efficacité. Mais effectivement pour atteindre certaines vitesses il faut changer de braquet ! (voir Decavitator http://lancet.mit.edu/decavitator/).
        A mon avis, la planche de vitesse classique a encore une belle marge de progression et devrait dépasser cette barre des 50 noeuds. Il serait intéressant d’analyser les vitesses instantanées (vent et planche) réalisées lors du record.

      4. Bonjour,

        Tout d’abord félicitations pour votre site qui me parait faire le plus grand tour
        d’horizon des voiliers à foils et des tentatives de records de vitesse à la voile.

        Très interessante, aussi, votre théorie sur la cavitation aux alentours des 50 Knts.
        Si elle est exacte, le rendement des ailerons diminue donc avec les hautes vitesses.
        Je comprends mieux pourquoi les 50 knts sont si difficiles à franchir.
        Du coup, même le profil supercavitant (qui ne marche que par pression dynamique puisque la dépression engendre une
        bulle de gaz inéfficace sur l’extrados) ne donnera pas de meilleurs performances?
        Ce n’est donc plus intéressant d’avoir une grande Finesse ( rapport entre vent réel et vitesse de l’engin) comme:

        Macquarie Innovation: Finesse maxi = 3 ( 3 x la vitesse du vent)
        l’Hydroptère: Fmax = 2,5
        le Trifoiler: Fmax = 2
        si cette performance se dégrade complètement.

        En gros, une simple planche à voile (F max =1) ou
        une barque tractée par un parachute, vent dans le dos, par temps de cyclone (finesse inférieur à 1) serait tout aussi efficace.
        Et même, reconnu par le Fédération, puisqu’elle prime la vitesse plutôt que le rendement (Finesse).
        Faut-il encore avoir le culot de le faire…

        En ce qui concerne la planche à voile, il n’y a pas de doute pour moi que l’aileron
        qui fait tout le travail. Le flotteur n’a pratiquement plus d’action antidérive
        à partir du moment ou il est au planning.

        Le brutal changement d’incidence de l’aileron lors du « spin out » me prouve que ce n’est pas
        un décrochage hydrodynamique. Un décrochage est beaucoup plus progressif ,et est la conséquence d’un changement
        d’incidence plutôt que la cause. De plus, même si la trainée augmente franchement, la portance diminue peu.

        Par contre, la disparition de la dépression hydrodynamique sur l’extrados de l’aileron
        (à cause d’une bulle de gaz par exemple: ventilation ou cavitation) provoquerait un brutal changement d’incidence bien visible.
        Portance = 1/3 pression intrados+ 2/3 dépression extrados

        Aussi, comme vous l’avez expliqué lors d’un « spin out », il convient souvent de ramener l’incidence à 0
        pour retrouver la portance initiale de l’aileron. Voire négative un court instant comme pour chasser une bulle d’air.
        Là encore, ce phénomène d’hystérésis est bien plus faible lors d’un décrochage et ne serait pas très visible sur une planche.

        Au fait…. de nouvelles images de Macquarie Innovation sur You Tube:

      5. merci David pour votre réaction très complète.

        Concernant la finesse, je constate que tous les engins « plafonnent » autour de 45 noeuds alors que les chars à voile atteignent plus de 5 fois la vitesse du vent. Donc c’est dans l’eau que se trouve le problème,

        Je ne suis pas (encore) un spécialiste de l’hydrodynamique mais effectivement je pense que la barrière des 50 noeuds résulte d’un de la chute dramatique du rendement =(portance/trainée des profils) des profils classiques (subcavitants). Lorsque la cavitation se produit sur les 2 faces d’un foil, la portance est nulle (voir https://foils.wordpress.com/2007/03/09/le-mur-des-50-noeuds/) et ça vaut pour les plans anti-dérive et les safrans, pas seulement pour d’éventuels plans porteurs…

        Les profils supercavitants ont des bords d’attaque vifs et un intrados concave pour que la cavitation n’apparaisse que sur l’extrados (voir https://foils.wordpress.com/2007/03/12/sailrocket/ ) A haute vitesse, leur portance n’est pas moins bonne que celle d’un subcavitant à la limite de la cavitation (~1 bar de delta P entre les 2 faces), mais à basse vitesse si…

        Vous avez probablement raison de distinguer décrochage et spin-out. En aérodynamique, le décrochage d’une aile est un phénomène rapide et brutal, je ne suis effectivement pas sur que ce soit le cas en hydrodynamique. Dans ce cas, la ventilation serait à 99% responsable du spin-out, le 1% restant étant réservé aux 40-noeuds et plus …

      6. Le rendement (Finesse max) des profils supercavitants à haute vitesse est-il meilleur que le rendement des profils classiques (subcavitants) à basse vitesse?

        Si il y a une différence, dans quelle proportion ?

        Pour revenir au décrochage:
        En aéronautique, le décrochage n’est pas plus un phénomène brutal.
        Les turbulences grossissent et se propagent de plus en plus en fonction de l’incidence.
        La trainée, elle aussi, augmente progressivement en fonction de ces turbulences
        et donc de l’incidence mais la portance diminue peu.

        Cette trainée diminue la vitesse de l’aéronef.
        Cette baisse de vitesse diminue la portance.
        Pour tenter de garder la portance, le pilote peut augmenter l’incidence et donc augmenter encore la trainée qui diminue la vitesse……. ainsi de suite…..

        Si le pilote maintien la même incidence de l’aile par rapport à l’air, l’aéronef prend une trajectoire plus descendante qui correspond au nouveau rendement (rapport Portance/Trainée) de l’aile décrochée.
        Ce changement de trajectoire est loin d’être aussi significatif et brutal
        que lors du Spin out.
        D’ou ma conviction de la disparition partielle de la portance par ventilation engendrant le spin out.

      7. tout à fait exact pour la conséquence de l’apparition de la cavitation sur l’ensemble d’un profil. Par contre, permettez moi de douter des résultats des simulations numériques de https://foils.wordpress.com/2007/03/09/le-mur-des-50-noeuds/ notamment l’écoulement à 25 m/s qui fait penser à une divergence du calcul. En effet si la pression représentée par le contour et l’échelle sur la gauche est la pression absolue, on est loin (47 000Pa) de la pression de vapeur saturante (sauf si l’eau est à 80°C). De plus si le domaine représenté est le domaine de calcul il parait difficile d’obtenir des résultats probants, à moins d’utiliser des conditions aux limites extrèmement bien adaptées.

      8. Etant planchiste de bon niveau (compet), je me permets de préciser aux intéressés non-pratiquant, que le spin-out ne se rencontre qu’à basse vitesse. Typiquement c’est lorsque vous avez un vent faible, une grosse voile pour compenser, mais un aileron avec pas assez de surface. Si vous mettez trop de pression dans les pieds, notamment pour caper, l’aileron décroche.
        (Je fais abstraction évidement du spin out lors d’un atterrissage/passage de mousse. Même si le phénomène revient au même : pas assez de portance par rapport à la pression exercée aux pieds.)
        C’est là que le flex de l’aileron intervient : plus il a de flex, plus il vous « prévient » avant le décrochage. Mais le flex fait perdre en performance. Un bon planchiste devra « sentir » l’appui de son aileron avec le moins de flex possible.
        C’est pour ces raisons que je ne partage pas l’avis de DAVID : pour moi il s’agit bien d’un décrochage, reste à le sentir venir. Et comme on est dans un milieu plus visqueux que l’air, il est pour moi logique que le phénomène paraisse plus bref. Pour les débutants il semble instantané par manque de sensibilité.
        Aux hautes vitesses (record perso 34,5 en lagon sur planche de slalom) les problèmes prioritaires sont de gérer l’état de surface de l’eau et les rafales/molles : c’est la « lecture » du plan d’eau.

      9. Bonjour,
        je ne suis pas expert en la matière, seulement je vois qu’en windsurf, on assiste à un renouveau des fameux TWIN et même QUAD de série. J’ai eu l’occasion d’essayer la starboard QUAD, qui posséde 4 ailerons. Je dois avouer que malgrès la taille « ridicule » des ailerons, elle à beaucoup plus d’accroche que ma planche avec un 22cm que ce soit à grande vitesse ou en surf.
        De plus, les kite, avec une planche dont les ailerons sont minuscules, ont passés la barre des 50 noeuds !
        Donc ces phénomènes de spin-out et décrochages ne pouraient ils pas être corrigés en reduisant la taille et multipliant le nombre d’ailerons ?!

      10. Bonjour Pirate-X,

        Comme tu le dis, ce n’est pas la première fois que l’on voit des ailerons multiples sur des PAV.
        En ce qui concerne purement le rapport portance/traînée (et toutes choses étant égales par ailleurs), un seul aileron vaut mieux que plusieurs. Néanmoins, il est déjà difficile de comparer des choses difficilement comparables (en dehors de la surface totale du ou des plans antidérive et peut-être de l’allongement moyen).
        D’autre part, la finesse n’est pas toujours le but à atteindre sur une PAV. S’il s’agit d’une planche de vagues, la maniabilité, la possibilité d’avoir un ou deux ailerons hors de l’eau sans trop décrocher … sont des qualités plus importantes que la vitesse pure.
        C’est, je crois, ce qui justifie les planches à plusieurs ailerons (je ne parle pas de l’argument commercial …)

        Quant aux kites, je pense que les ailerons ne servent qu’au départ (lorsque la planche est encore à peu près à plat) et lors des changements d’amure. Lorsque l’engin est à grande vitesse, je pense que c’est la planche elle même qui se comporte comme une surface planante ou un plan « supercavitationel » comme les aiment le Dr Goulu et notre cher Gurval.

        à plus,

        GG

      Laisser un commentaire