L’aile d’eau

L’ « Aile d’Eau » est un très fascinant travail de Luc Armant commencé en 1998-9 alors qu’il étudiait l’Architecture à Nantes, et décrit dans cet impressionnant document de 136 pages (et 36 Mb), extrêmement intéressant à plusieurs titres :

  • une recherche historique et bibliographique incluant des brevets sur de très nombreux travaux de précurseurs en matière d’architecture navale de voiliers de vitesse
  • une excellente introduction à la mécanique des fluides et à ses applications aux voiliers rapides
  • une approche très originale consistant à considérer un voilier comme constitué d’une aile « aérienne » et d’une autre « aquatique », la coque n’étant qu’un des moyens possibles de lier les deux pour réaliser la fonction désirée…
  • Pour réaliser une embarcation visant réellement la vitesse pure, Luc propose de réduire la coque à un simple câble reliant les deux ailes, réalisant ainsi ce qu’il appelle un « voilier sans masse ».

A noter que le style rédactionnel est typique d’un travail d’architecture, donc assez déroutant de prime abord pour un ingénieur, mais la cohérence et la rigueur de l’étude s’imposent rapidement

En 2001, Luc a réalisé une maquette de son idée phare : un cerf-volant tractant et un « cerf-plongeant », tous deux auto-stables et liées par un seul fil traversant la surface, le tout se déplaçant à haute vitesse :

Spectaculairement simple, n’est-ce pas ?

Quelques citations tirées du document, parfois un peu étonnantes voire provocatrices, mais suscitant la réflexion :

  • Si l’on arrive à Transformer la question du « comment se déplacer vite sur l’eau » en « pourquoi utiliser l’eau pour se déplacer vite » , on a déjà fait un net progrès.
  • Malgré des ressemblances physiques très fortes, le mouvement liquide est perçu subjectivement de façon très différente du mouvement gazeux. C’est, je pense, la raison principale d’une très fréquente dissymétrie dans l’imaginaire du voilier, dans son analyse intuitive puis dans sa prétendue définition.
  • Définition : Le voilier est une structure autonome stabilisée en altitude autour de l’interface horizontale entre un liquide et un gaz et se propulsant par l’exploitation de l’énergie contenue dans le différentiel verticalement éloigné des vitesses horizontales (appelé courvent) des deux fluides respectifs.
  • Le plan sous-marin ou plan hydrodynamique. Couramment nommé dérive pour des raisons inexactes et subjectives (pourquoi ne pas nommer la voile « incidence » ?), il peut aussi s’appeler quille (origine structurelle), plan anti-dérive ou appendice. C’est peut-être parce qu’il est le plan caché qu’on oublie souvent de s’en soucier. Avoir une simple tôle en guise de dérive dérange beaucoup moins que d’avoir une voile mal réglée. D’ailleurs le plan déviateur sous-marin est injustement exclu du mot « voilier ». La nomenclature qui s’y rapporte est largement plus étroite que pour la voile. Pour des facteurs contraires à ceux induisant la souplesse (forte charge alaire, poids moins pénalisant, manoeuvre inaccessible), la dérive est presque toujours de forme rigide épaisse.
  • Grâce à la propriété essentielle du fluide de ne présenter aucun frottement à vitesse 0, il y a un potentiel de rendement de sustentation (par Archimède) sur l’eau excellent pour des vitesses faibles. Une coque, aussi pesante, volumineuse et grossière qu’elle soit, possède à vitesse zéro un rendement de sustentation infiniment grand.
  • Le rendement d’une coque élancée finit inexorablement par chuter à haut nombre de Froude. Mais, si l’on peut se permettre des dimensions monstrueuses (de l’ordre de 50 mètres), on peut envisager avec une finesse de coque (=V/L³) de 0.001 (finesse d’un trimaran 60 pieds) des rendements sustentateurs proches de 20 aux vitesses de cavitations (45-50 noeuds). Le rendement sustentateur d’une coque planante atteint difficilement 5. Enfin le rendement d’une sustentation par plans perceurs peut atteindre 11 aux vitesses moyennes (50 km/h) mais baisse très tôt à cause des problèmes de ventilation et de déformation de l’interface.
  • Pour réussir des vitesses absolues honorables, la seule solution est de trouver des plans d’eau artificiellement abrités, de construire des structures extrêmement fragiles, monodromiques (naviguant sur un seul bord) pour les moins courageux, et de jouer sur l’habilité des pilotes, pour que, quand les rares occasions météorologiques idéales se présentent, des mesureurs officiels puissent dire après dix tentatives infructueuses et un bon coup: record!
  • J’appelle « aile d’eau » un voilier dont les plans déviateurs sont équilibrés de façon autonome dans leurs mouvements et sont reliés entre eux par à une structure souple en traction simple, présentant un biais par rapport à l’horizontal et résistant à la tension interne en utilisant le minimum de volume et de masse afin de minimiser les trois ennemis de la vitesse: perforation de l’interface, surface mouillée et poids.
  • L’aile d’eau appartient à la famille des voiliers sans masse. J’appelle voilier « sans masse » tout voilier qui n’utilise directement on poids dans aucune des stabilisations indispensables à savoir: altitude, biais et allure.
  • L’hydroptère, bien connu en France, est souvent présenté comme essentiellement original. En réalité, ce n’est qu’un voilier pesant car son foil au vent n’est pas capable de créer une déportance, c’est à dire de composante plongeante remplaçant le poids. Tout au plus, l’hydroptère pourrait-il (s’il était plus large et que les centres d’efforts hydro et aéro étaient à la même altitude) créer un couple redressant sans gite par la seule différence (due à la dérive) de sustentation entre les deux foils.

Il y a vraiment une mine de sujets intéressants dans l' »aile d’eau », et beaucoup d’images et de graphiques intéressants que je ne reproduits pas ici pour des questions de droits, mais je reviendrai certainement dans des posts ultérieurs sur ce travail fascinant.

20 réflexions sur « L’aile d’eau »

  1. Philippe,

    Merci pour avoir mis en avant ce document : je sais ce que je vais avoir sur ma table de nuit pendant quelques jours ! L’idée une aile aérienne et d’une aile sous marine est un sujet qui a été longuement traité par Bernard Smith : http://www.geocities.com/aerohydro/designframeset.htm
    Je pense, d’après ce que j’ai pu rapidement voir sur le document, qu’il a été différemment traité par Luc Armant. Les frères Durand ont aussi eu une approche « aile aérienne / aile sous marine » durant les années 80 et + avec O PAF leur tripode à foils et aile et ensuite avec d’autres projets incluant un bras aile (effet de surface), une voile épaisse et des foils … Moins extrême aussi mais terriblement intéressant, le projet Paravane speedsailer : http://www.trampofoil.com/speedsailing/.

    Fred

  2. merci pour les liens Fred, je les avais déjà repérés (voir la liste des liens dans la colonne de droite), mais pas encore pondu d’article sur ces deux ressources. patience … 😉

  3. J’ai contacté Luc Armant en 2004 avec l’intention de construire un engin robuste, depuis j’ai fait des essais seul. Pour donner un coups de fouet a ce projet je cherche des personnes motivés.

    Alors, partant?

  4. De l’aveu de Luc Armant lui-même – qui m’a fait l’honneur de me répondre par mél récemment – sont système de CV avec « peson » n’est pas assez stable et demande encore beaucoup de travail. Mais il reste qu’il a génialement prouvé qu’un CV peut se caler tout seul quasiment en angle par rapport au fil du vent, et ceci apporte de fait la solution de principe pour remonter au vent avec un CV sans avoir à le piloter.
    De plus rien n’interdit de retravailler sur ce principe pour trouver un moyen plus stable. C’est ce que je fais depuis un petit moment déjà, entre autres projets de R&D…
    Olivier, si vous avez trouvé un moyen de stabiliser un CV tracteur en angle par rapport au fil du vent je suis très intéressé : où peut-on voir vos essais ?

  5. SUr le blog « High-speed sailing », un Norvégien (?) a donné l’idée au webmestre de lire « L’Aile d’eau », article « North Atlantic Record ».

  6. la video et le projet sont parmi les plus poétiques que j’ai vu. en ce sens où ils transcendent les visions habituels de nos rapports aux objets navigants.
    je ne suis ni physicien, ni architecte naval, juste un passionné.

    mon métier est de définir les potentiels marchés et de trouver des financements pour des starts up. si vous pensez avoir besoin de ce genre de service dans vos projets, je suis votre homme herve.saulnier@seniorstrategic.com
    NB pour ce genre de projet on ne parle pas d’honoraires of course

    1. Bonjour,

      Je suis en admiration, moi aussi, devant ce projet (qui est en fait une thèse de fin d’étude d’une école d’architectes navals, si j’ai bien compris).

      Je trouve que Luc Armant a toutes les qualités d’un véritable esprit scientifique. (je sais, c’est prétentieux de ma part de dire ça)

      – Universalité de sa pensée.
      – Rigueur du raisonnement.
      – Grande culture dans ce domaine.
      – …

      Je ne lui ferai qu’un reproche … C’est tout de même extrêmement difficile à lire pour ma pauvre tête. Pfff. :o)
      J’essaie de faire un résumé en supprimant un peu de l’universalité du discours au bénéfice de la compréhension, mais je n’en suis qu’à la page 10 😉

      GG

  7. Tout à fait d’accord avec GG,
    en fait il nous invite à voyager sur des objets qui caressent l’eau.
    Une vraie poésie.
    Je le relis régulièrement comme un poème tout en assimilant de mieux en mieux les informations techniques et son projet.
    Il pourrait paraître iconoclaste.

  8. Il pourrait paraître iconoclaste, il le pourrait…

    Mais même s’il pense lui-même que le ton de son dossier est – je le cite – « un peu surfait », il n’en reste pas moins que ce travail est fantastique, et son auteur à mon humble avis tout simplement génial.

    Et je pèse mes mots.

    Et c’est d’ailleurs pour cette raison même qu’il peut paraître iconoclaste !

  9. Pourriez vous nous laissez Luc encore quelques temps.
    Cela ne fait que 18 mois environ qu’il à rejoint l’équipe de conception et réalisation de parapente pour la marque Ozone
    Les 2 prototypes sur les quels il a travaillé ont finis 1er et 2 éme à la super final de la cp du monde de parapente Sept. 2009 en Italie.
    Vous avez dit génial,fantastique,c’est vrai.
    La révolution est en marche,les premiers joujoux (parapentes)avec la « Luc Armant touche » arrive sur le marché publique.
    En espérant que la NASA ne le kidnappe pas.

  10. Merci Christophe pour ces news.
    Bravo !
    J’espère que Luc arrivera, un jour, à organiser son temps pour bien développer les produits Ozone et poursuivre ses recherches sur L’aile d’eau.
    En tout cas, « Foilers! » sera là pour en parler (surtout su Luc nous informe de ses avancées…)!
    Fred de Lo

    1. …à la base de bien des systèmes asservis nous trouvons des capteurs de mesures incapable de la moindre puissance de contrôle. C’est la raison d’être des systèmes amplificateurs qui ne sont pas nécessairement électriques. Et avec le gain, il devient facile d’améliorer la précision, la vitesse, la stabilité…
      J’ai adoré la lecture de l’Aile d’eau de Luc Armant que Google me proposait en réponse à la question « Foiler soufflé » comme « aile soufflée »…

  11. Bonjour à tous, le thème m’intéresse beaucoup malheureusement et j’aimerais avoir accès au travail de Luc Armand, malheureusement le lien ne marche pas, si quelqu’un peu me l’envoyer par mail ou de donner le mail de Luc Armand pour que je puisse le contacté je serais ravis. Merci d’avance

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