L’Albatros et le vol de gradient

Sience&Vie se faisait récemment (mai 2010) l’écho du biomimétisme et du formidable croisement de banques de données « asknature.org ». Son utilisation est simple : vous tapez un mot correspondant à une technologie (ex : roue, sisi essayez avec « wheel ») et ça vous met en relation de articles de biologie/entomologie indiquant quelles espèces utilisent des techniques équivalentes.

Là où c’est décevant, c’est quand l’on tape des mots-clés intéressant le foiler moyen, tels « sail ».

On tombe alors sur ce genre de résultat :

Meduse velella (en fait, c’est une colonie de polypes)

Dont l’équivalent humain est :

Le radeau de la Méduse, Géricault

Bof. Question performances, peut mieux faire. Asknature.org nous indique le cas d’une araignée d’eau, qui se relève plus ou moins sur ses pattes, et se sert ainsi du gradient pour ajuster sa vitesse.

En fait, je crois qu’aucun animal ne se sert du vent tel un voilier, avec une surface aérienne et une surface antidérive sous marine. Le biomimétisme montre là sa limite : il faut très bien formuler sa question de départ. Essayons plutôt avec « comment parcourir les océans sans dépenser d’énergie stockée (= sans utiliser le travail musculaire; la vitesse des poissons a déjà été traitée ici) ? »

Tout de suite, le maître du déplacement océanique se révèle : l’albatros. D’ailleurs pas mal de projets de foilers portent ce nom : par exemple l’albatross V39, ou celui de Gerard Petersen. L’oiseau dispose de 3 modes de déplacements sans utiliser ses muscles :

-Choper une « pompe », courant ascendant situé sous un grain. Très efficace pour gagner de l’altitude et ensuite planer, mais relativement rare en plein océan.

-Le vol de pente : se servir de la déflexion du vent par une vague. Tous les oiseaux de mer utilisent ce phénomène, on voit ainsi planer des escouades de pélican rasant les crêtes des vagues.

 

-Moins connu, le vol de gradient, sur lequel je vais revenir.

Comme on le voit, la nature n’a certes pas « inventé » (ou plutôt « sélectionné quelque chose étant apparu au pif ») le voilier, mais les animaux marins ont d’autres stratégies de déplacement utilisant le vent.

Le vol de gradient

Il faut imaginer une surface avec un fort gradient de vent : très peu de vent au niveau du sol, un vent fort quelques mètres plus haut. Imaginons un albatros au ras du sol, avec un peu de vitesse initiale.

1-     Il vire et monte face au vent.  Au fur et à mesure de sa montée, il rencontre un vent réel de plus en plus fort.  Grâce à son inertie, son vent apparent est donc plus fort, il est en survitesse. Il transforme cette survitesse en portance et monte.

2-     Arrivé en haut son inertie à été brisée et il est maintenant en vol stabilisé, entraîné par le fort vent.

3-     Il vire dos au vent. Sa vitesse sol est donc élevée. Il pique et rencontre un vent réel de plus en plus faible : là encore, son inertie fait qu’il se retrouve en survitesse, qu’il peut emmaganiser en énergie cinétique.

4-     Il est maintenant au niveau des vagues, avec encore une bonne vitesse, prêt à répéter sa boucle.

Ingo Renner aurait réussi de tels vols :

« Renner a commencé ses essais avec un Libelle H301 à courbure. D’après ses comptes rendus, le vent était presque calme au sol à Tocumwal, en Australie, le matin du 24 octobre 1974. Après le décollage, l’attelage du planeur et du remorqueur pénétra dans une inversion (clairement visible avec le blocage de la brume) à une altitude d’à peu près 300 mètres. Au dessus de l’inversion le vent était fort; le planeur et le remorqueur n’avançaient que lentement face au vent, et Ingo Renner estime la variation du vent à 40 nœuds (!) A un point situé à environ 3 km au vent de l’aérodrome, Renner vira vent arrière à une altitude de 350 mètres et commença à plonger sous l’inversion avec une forte pente. A une altitude d’environ 250 mètres avec une vitesse de 200 km/h, il engagea un virage serré de 180 ° (accélération : 3 g) et cabra le planeur sous le même angle (30 °) que dans son piqué initial, face au vent. Il retrouva son altitude de départ, fit un second virage de 180 ° avec une vitesse et un facteur de charge faibles et recommença la manœuvre. De cette façon, il put garder son altitude pendant une vingtaine de minutes, mais le vent l’avait emmené si loin qu’il lui fallait renoncer à son vol pour pouvoir regagner le terrain et s’y poser. Au cours de vols ultérieurs sur un Pik 20, il acquit peu à peu assez d’expérience pour pouvoir remonter sans cesse contre le vent et rester au-dessus de l’aérodrome. »

Libelle H301 http://www.sailplanedirectory.com/images/h301lib.jpg

Le gradient ici est de 0.2 m.s-1.m-1, d’après certaines sources il ne faudrait à un planeur moderne Nimbus que 0.03 m.s-1.m-1.

Cette technique, appelée « dynamic soaring » est utilisée par les planeurs radio-commandés pour battre des records de vitesse. (ici en camera embaquée)

Utilisation par un foiler

Cet article est juste là pour rappeler ce phénomène et sa possible utilisation. De manière générale, mes articles sur ce blog sont là pour croiser différents univers et peut-être suggérer des pistes.

Dans le domaine sous-marin, on a deux choses s’en rapprochant :

Le mouvement ellipsoïdal des particules d’eau dans la houle

Les boucles décrites par l’albatros me font penser au mouvement de l’eau dans la houle :

Selon la théorie d’Airy, les particules décrivent une ellipse non fermée, et donc montent et descendent… Avec un engin se rapprochant du trampofoil, on devrait pouvoir exploiter ce phénomène.

Le courant de surface

L’eau très proche de la surface est constamment entraînée par le vent et le micro déferlement du clapot. Il y a donc sur les premiers centimètres des océans un gradient local de courant.

Kite et gradient

Un petit aparté pour les kiter, plus particulièrement les snowkiter. Mettons que vous voulez remonter une pente en faisant des loop (voir glossaire), ou tout simplement maintenir une aile en l’air dans pétole en lui faisant décrire des « 8 ».

Cas de l’uploop : l’aile est en bas de fenetre, elle a peu d’énergie car le vent en bas est faible. L’aile arrive au bord de fenêtre, son incidence diminue (elle quitte la zone de puissance), elle est donc à l’agonie. En plus de ca, il va falloir la faire remonter, et donc lutter contre son poids. Imaginons que vous ayez réussi, l’aile est maintenant en haut, au bord de la fenêtre. L’aile est très lente, car elle a effectuée une montée hors de la zone de puissance, sans vitesse préalable. Vous poursuivez le loop, elle se retrouve donc avec le vent réel venant de derrière, ca l’aide pas… Enfin, vous plongez au centre de la fenêtre. Le poids aide l’aile à accélérer au centre de la fenêtre, et vous êtes partis pour un bon à-coup de puissance désagréable.

Cas du downloop : L’aile est en haut de la fenêtre. Elle se déplace avec énergie vers le bord (là-haut, le vent est fort). Lorsqu’elle arrive au bord de fenêtre et perd donc de la vitesse, il est temps de la faire descendre. La descente lui permet d’accélérer. Ensuite, elle se retrouve certes avec le vent réel dans le dos, mais c’est tout le contraire du premier cas : le vent réel est faible en bas de fenêtre, et l’aile est rapide. Enfin, l’aile se retrouve en pleine fenêtre, il lui est donc facile de remonter.

Bilan : Un kite peut tirer de l’énergie – pour propulser un foiler par exemple – non seulement du vent, mais aussi du gradient de vent.

glossaire :

downloop : contraire de l’uploop. voir uploop.

fenetre : quart de sphère sous le vent et centrée sur le kiter, à la surface de laquelle un cerf-volant peut évoluer.

loop : lorsque l’aile parcourt un cercle

uploop : loop qui est amorce vers la haut lorsque l’aile pointe vers le vent. donc si l’aile est sur le cote tribord de la fenetre, un uploop se fera dans le sens trigonometrique (ou anti-horaire). si l’aile est sur le cote babord de la fenetre, l’uploop correspond a un virage dans le sens antitrigo (ou antihoraire).

 

7 réflexions sur « L’Albatros et le vol de gradient »

  1. Et pourquoi pas 2 kites en opposition, reliés par un cable. Un kite haut dans le vent fort et un kite au ras des vagues dans le vent faible pour l’anti dérive. Le tout dérive avec le vent, mais peux avancer latéralement.

  2. ca peut meme remonter au vent si les deux ailes ont suffisament de finesse.
    la premiere fois que j’ai entendu parler de ca, c’est dans les dernieres pages de « l’aile d’eau » de L.Armant (https://foils.wordpress.com/2008/01/13/laile-deau/)
    on peut meme pousser le concept en allongeant le cable, avec le kite « haut » dans un vent de haute altitude, de sens contraire a celui proche du sol…

    1. merci beaucoup pour ce document.
      J’ignorais que le vol « dynamique » (profiter des rafales) avait été à ce point recherché par les pionniers, et le vol de pente tellement incompris.

      vu qu’ils décollaient depuis des pentes, j’avais toujours imaginé que le vol dans l’ascendance de pente avait été la première chose comprise et théorisée..

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