Claude Tisserand, pionnier français des hydrofoils, est décédé jeudi 23 décembre. Né en 1939 en Tunisie, Claude était ingénieur géologue responsable de la construction de plusieurs retenues en Corse où il s’était installé (barrages de U Spidali, Figari, Ortolo). Claude était aussi membre du Comité Français des Grands Barrages, institution de référence en France.
En 1964, avant de se lancer dans la construction de son premier trimaran volant, il réalise une première maquette d’un mètre qui est testée au printemps : « c’est alors que le miracle se produisit » écrit Claude, « le bateau, après quelques mètres d’accélération, sortit brusquement de l’eau et se mit à glisser à une vitesse folle sur ses ailes marines ». Cette expérience est inscrite à jamais comme l’une des plus grandes émotions de son existence : « j’avais vraiment accouché d’un phénomène auquel je n’osais croire quelques instants auparavant ! »
Commencé en octobre 1965, Véliplane ou Minoï est mis à l’eau en mai 1966 après 8 mois de travaux. C’est un trimaran en contre-plaqué de 4,50 m de long pour 4 m de large qui pèse 125 kilos. Il est équipé du gréement d’un As Côte d’Azur (plan Camatte de 1932). L’engin décolle par force 3 et atteint 15 nœuds mais il refuse de virer !
C’est le début d’une longue et intense période d’expérimentations. Claude réalise de nouvelles maquettes et met au point trois nouveaux Véliplanes.
Le Veliplane II est réalisé sur la base d’une coque de 470 et est équipé de foils repliables. Testé en 1971, l’engin ne décolle qu’une seule fois, par forte brise : « Une belle cavalcade qui se termine par la perte d’une aile ! ».
Le Véliplane III tient compte des essais du numéro II et ses foils sont plus élaborés. Testé durant l’été 1973, il décolle par force 3 et réalise des pointes à 16 nœuds. L’année suivante, Claude l’équipe du GV lattée et d’un carénage sur la poutre. La vitesse augmente sur eau plate mais chute dès qu’il y a 50 cm de creux. Mais le véliplane III, présent aux semaines de Weymouth 74 et 75, a impressionné James Grogono, grand maitre es foil anglais. James le présente dans son livre Icarus The Boat that Flies dans le chapitre Innovators : « Only one peson has succesfully converted a standard racing dinguy to hydrofoils… M. Tisserand also change to a standard 470 one-design dinghy. The result was a practical boat with retractable foils which was timed unofficially at 20 knots…”
Déçu par sa septième place à la semaine de vitesse de Weymouth de 1975, Claude se rend compte que sa coque de 470 est trop lourde, elle est pourtant allégée de son puits de dérive. Il construit alors une coque centrale en fibre de verre et des petits flotteurs et équipe l’ensemble du gréement et des foils du Véliplane III. Sans peinture, pour gagner du poids, le Véliplane IV et sa coque transparente décolle dès 10 nœuds. Il atteint 20 nœuds au cours de l’été 1976 et navigue aussi muni de trois voiles rigides, une sur chaque coque. C’était avant les tests réalisés par Eric Tabarly en 1976 à partir d’une coque de Tornado. La forte couverture médiatique des essais d’Eric Tabarly a éclipsé les travaux de Claude et de Roland Tiercelin et a fait croire à beaucoup que l’hydrofoil venait d’être inventé…
Malgré de beaux articles dans Nautisme, Yachting World… les travaux de Claude n’intéressent pas grand monde. En 1980, lassé de la mise au point des de voiliers à hydrofoils, il commence à s’intéresser aux Deltaplanes et aux ULM qu’il observe depuis quelques années s’élancer depuis les pentes plus ou moins abruptes. Claude « s’autoforme » au pilotage avec un petit groupe de passionnés Corse, puis réalise ses propres modèles dont il vend les plans, les ULM pendulaires Puce du Ciel. Fort de son expérience des engins à hydrofoils, de ses nouvelles compétences en aéronautique et vivant dans un appartement les pieds dans l’eau, la réalisation d’un hydravion « s’impose ». C’est ainsi que voient le jour les Hydroplum I et II, des hydra ULM qui seront produits en série sous le nom de Pétrel et utilisés dans l’émission Ushuaïa. L’émission Thalassa lui consacre aussi un reportage et, bien sûr, FR3 Corse.
Claude réalise ensuite des appareils encore moins classiques, l’Amphiplane et l’Electroplane des planeurs hydravions. Ce dernier est déjà, au début des années 2000, prévu pour être équipé d’une motorisation électrique. Ce n’est pas le premier projet électrifié de Claude qui à 11 ans, en 1950, réalise une « voiturette » alimentée par une batterie de camion !
En 2005, après avoir « cassé du bois » à bord d’un nouveau modèle de Puce du ciel, Claude revient à ses premiers amours, les hydrofoils. Il met au point, avec son frère Gérard, le Tétrafoiler un catamaran muni de quatre hydrofoils et équipé d’une régulation innovante.
Il participe aussi au projet Voilavion et travaille au développement d’un « kit » pour favoriser la pratique du vol à partir d’un driveur classique. En 2010, les travaux de Claude sont présentés à l’exposition « Les voiliers volants » à la cité de la voile Eric Tabarly, juste retour des choses.
Humble, Claude aimait partager son savoir. Ses recueils « Des hydrofoils à la portée de tous » et « Les mémoires d’un pilote d’essai amateur » sont disponibles sur Internet. Ce dernier document, qui présente les premiers pas de Claude en tant que pilote puis ses créations, est un vrai récit d’aventure. Claude est décédé soudainement d’un arrêt cardiaque, dans une prairie en compagnie de sa petite fille qu’il initiait au pilotage d’un avion modèle réduit… Comme son frère Gérard me l’a écrit : « Il est mort comme il avait vécu, le nez au vent ». Peut-être le destin l’avait-il prévenu en secret, il avait rangé son atelier, sorti et classé ses photos et les avaient envoyées à ses proches. Je perds un ami, je garde bien vivant le souvenir de délicieux moments passé en Corse en sa compagnie et celle de son épouse… Bons vols Claude.
Vous trouverez plus de détails sur les réalisations de Claude dans les articles suivants :
Les Véliplanes de C. Tisserand, ces méconnus ! 1/2
Les Véliplanes de C. Tisserand, ces méconnus ! 2/2